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vendredi 24 avril 2009

Marc-Édouard Nabe | Printemps de feu (2003)

Les fameux portraits géants de Saddam apparaissent à travers des nuages gris, comme des fantômes... Ah ! Les voilà donc ! On m'en avait parlé, mais il faut les voir. En vrai, c'est autre chose...
Des images de Saddam partout, partout. Peintures, mosaïques, panneaux, posters, bas-reliefs (sans parler des statues). Oui, c'est de la pub, et alors ? Une campagne permanente pour un seul produit : le saddamisme. Celles d'Occident sont-elles vraiment moins scandaleuses, pour la seule et unique raison qu'elles sont « diversifiées » ? C'est pourtant toujours pour vendre la même merde. Elle est si « libérée » que ça, la publicité démocratique ? Mieux vaut encore le culte de la personnalité. En réfléchissant bien, on s'aperçoit que c'est beaucoup moins nocif pour l'esprit. Et quelle drôlerie ! C'est un exploit d'arriver à redoubler d'imagination sur un sujet aussi imposé.
À la différence de ceux du père et du fil al-Assad exposés dans toute la Syrie, les portraits officiels du Raïs ne sont pas solennels, mais mis en situation. Rien qu'en passant en taxi dans une seule petite avenue bagdadienne (de cent cinquante mètre de large), je vois à la suite un Saddam en Bédouin ; un autre à cheval ; un troisième à la chassse ; et un quatrième en costume de ville... Plus loi, Saddam buvant de l'eau ! Saddam téléphonant ! Saddam moissonnant ! Saddam maçonnant ! Saddam lisant le journal ! Découpant une pastèque. Pourquoi pas Saddam aux cabinents ? Et avec sur la tête toujours quelque chose de différent : une toque d'astrakan, un chapeau borsalino, un panama, une casquette, un casque de soldat, un keffieh... Autant de coiffes que Thelonious Monk !
Sur les toits des bas immeubles, des soldats sont installés comme des chats de gouttières à l'affût. D'autres, pour tuer l'ennui avant l'ennemi, astiquent leurs kalachnikovs. D'autres encore, au coin d'une rue, montent soigneusement de dérisoires mini-murailles de sacs de sable, ou plutôt d'outres en toile de jute gonflées de terre. Quelle fumée... Je commence à avoir des hallucinations, puisque je vois une araignée géante à un carrefour ! Mais non : il s'agit de la fêlure en étoile qui orne la vitre brisée de ma portière.
On s'arrête dans un marché de quartier pour acheter quelques bananes très belles. L'épicier qui nous les vend me dit qu'elles sont importées du Soudan. Karthoum... La ville où Carlos a été arrêté ! Encore un pays « terroriste » qui m'attire. Les Américains ont bien morflé là-bas aussi... Adieu, Dalloyau ! On est tous les trois comme des singes ensuite à bouffer dans la bagnole. En roulant, on s'approche des plus sombres fumées... Nous allons enfin savoir ce que sont ces fumées : peut-être bien quelques génies libérés de leurs vases par un pêcheur veinard comme le raconte une des premières histoires des Mille et Une Nuits... Non, je croyais que c'était le résultat des bombes de la nuit, mais ce sont les Irakiens eux-mêmes qui ont allumé ces feux à intervalles réguliers, ils ont creusé des fosses, les ont remplies de pétrole, et les ont enflammées.
Crazy Horse et Sitting Bull n'auraient pas fait mieux ! Ces épaisses fumées noirâtres sont censées brouiller les satellites des agresseurs pour rendre plus imprécis leurs bombardements... Pas trop quand même ! Les Ricains sont assez maladroits comme ça : non seulement ils commencent à tirer n'importe où, mais ils ont commis quelques mistakes entre eux, des « tirs amis » dont leurs Anglais ont fait les frais...
Sorry !
Schéhérazade voit plutôt dans cet enflammement volontaire de la ville une stratégie à la Néron du vieux Saddam aux abois. D'autres trous de feu sont en cours : des militaires creusent à la pelle les tombes de carburant... Poussées par le vent, les fumées forment d'énormes queues de chats fous. Quels panaches !

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